lundi 8 décembre 2008

Blog de Nicalor 2— Jours d'angoisse

Avertissement: après quelques hésitations, j'ai décidé de ne pas être plus royaliste que le roi des blogs, qui a bien voulu honorer ce squat de ses billets… Je l'en remercie et poursuis donc la publication du Journal de Nicalor Jegpoaul.

12 septembre 2095, 373ème jour.

17heures
Je reviens à l'instant du module. Le commodore Malbeyer est un homme rancunier. Il sait parfaitement que j'aime à disposer de l'endroit à 14h15 précises. Or, voilà qu'aujourd'hui j'ai trouvé porte close. Monsieur œuvrait, ou feignait d'œuvrer à l'intérieur avec force d'ahans. La plaisanterie s'est prolongée jusqu'à 16 heures. J'étais trempé de sueur et malade d'angoisse lorsqu'il m'a laissé le champ libre. «Quelque chose cloche, Nicalor?» m'a-t-il demandé en sortant, mielleux.
Au tableau : naine blanche, nuage stellaire en cours de condensation. Absence d'échauffement, ce qui est singulier.
13 septembre, 374ème jour.
R.A.S. Belles concrétions de faible densité.
14 septembre, 375ème jour.
Galaxie explosive confuse, mais j'ai réussi à résoudre le noyau en poires au sirop. C'est la faute de Malbeyer, il réclame des fruits en conserve à chaque repas!
PS: Mon catalogue stellaire n'est pas orthodoxe, je le sais, mais d'autres grands carnétistes ont usé avant moi d'artifices comparables pour protéger leur intimité. Voyez Samuel Pepys dont j'ai particulièrement apprécié le journal: il partageait sur bien des points mes préoccupations! Le sans-gêne de la correspondance d'un Mozart m'a toujours choqué.
18 septembre, 379ème jour.
Voilà quatre jours que je me rends au module pour rien. Jamais connu une situation aussi troublante.
19 septembre, 380ème jour.
Je suis anxieux.
20h
Préparé une grosse salade avec les verdures hydroponiques, mélangées de moules et de fruits au sirop. Le commodore m'a paru un peu dérouté.
20 septembre, 381ème jour.
Astre à neutrons, hyperdense, dans la lunette… Il n'y a pas de quoi pavoiser, mais je suis sur la bonne voie. Ce soir, salade!
21 septembre, 382ème jour.
Rien, salade.
24 septembre, 385ème jour.
Dix jours de constipation. Au diable la pudeur, l'heure est grave! Six jours de salades à tous les repas, en vain. Tandis que moi je m'épouvante sur le silence des viscères, Malbeyer, ce rustre, assiège le module! Je crois qu'il souffre de diarrhées; d'ailleurs, il refuse de toucher à la salade depuis hier. Mine de rien, au breakfast, il m'a déclaré: «Je crois que nous devrions varier un peu notre alimentation, Nicalor…» Cause toujours! Il n'empêche que mon problème demeure. Devrais-je renoncer à mes principes les plus chers et m'adonner aux laxatifs?
25 septembre, 384ème jour.
22h
Sauvé! Passé l'après-midi au module, extasié, à regarder l'espace infini par la fenêtre. Enfin un flux, un amour de défécation! Le commodore fait la gueule.
1er octobre, 390ème jour.
Grâce à mes salades, tout est rentré dans l'ordre. Toutefois, à mesure que je recouvrais ma sérénité, l'humeur de Malbeyer se dégradait. Nous en sommes à faire cuisine à part, et, profitant de sa qualité de chef de bord, la brute me persécute, m'accable de corvées. Pas plus tard que ce matin, il m'a envoyé dehors, dans l'espace, pour nettoyer l'antenne. Tâche éprouvante, qu'on en juge : les architectes de la Nouvelle-Santa-Maria ont commis la faute inexpiable d'installer le module sanitaire dans l'axe de l'antenne radio! Si bien que chaque fois que nous tirons la chasse, une partie des fèces se dépose sur l'antenne, nuisant à son fonctionnement. On imagine le plaisir de flotter dans un scaphandre inconfortable, au milieu d'un nuage stercoral, la pelle et la balayette à la main…
Mais rira bien qui rira le dernier! J'ai injecté trois centilitres d'huile de ricin dans le tube de moutarde que le commodore Malbeyer utilise à table.
(c'était la livraison n°2, à plus…)

Tu bouges trop c'est con

Voilà ce qu'à dit Madame Lapin à son mari pour justifier le fait d'avoir pris un nouvel amant. Du coup, le lapin erre dans la ferme et ces amis animaux se foutent de sa gueule : "Ha ha ! Voilà le cocu des clapiers !".

Résiné

«Puis Ast opéra sur un front unique, se dirigeant à la fois vers les deux coins et repoussant la masse centrale vers la porte ; partant d'un mur il visait un angle et marchant ainsi parallèlement à la sortie atteignait l'autre mur, là donnait un coup supplémentaire et repartait en boustrophédon. Il s'agissait de constituer une masse d'expulsion à quelque distance de la sortie, distance telle qu'on pût ouvrir la porte pour aller chercher […] les deux bouteilles collées contre l'huis»…
Raymond Queneau
Les enfants du limon (Gallimard, 1938) extrait sélectif

Boustrophédon

« On qualifie de boustrophédon le tracé d'un système d'écriture qui change alternativement de sens ligne après ligne, à la manière du bœuf marquant les sillons dans les champs, de droite à gauche puis de gauche à droite. Souvent, le ductus des lettres est inversé en changeant de sens ; par exemple, la lettre Є tracée de gauche à droite deviendrait Э de droite à gauche. Ce mot vient du grec βουστροφηδόν boustrophêdón, de βος boũs « bœuf » et στροφή strophế « action de tourner » — bien qu'en grec le mot soit un adverbe, c'est un nom en français. »

On ne parle pas assez des boustrophédons dans les blogs. Il faut absolument réparer cette injustice. Je propose de m’associer à un blogueur littéraire pour créer un blog spécialisé les boustrophédons.

D’ailleurs, « le bistro, c’est bon » me soufflait le vieux Jacques alors que je lui dévoilais ce mot quand nous faisions les mots fléchés du Journal Du Dimanche.

dimanche 7 décembre 2008

Les plaisanteries les plus courtes…

Les personnes raisonnables ne laissent pas les enfants jouer avec des allumettes, et par précaution, elles évitent de laisser traîner la boîte. Sur internet c'est la même chose, à ceci près qu'il serait opportun d'ajouter une tranche d'âge, dont les bornes sont aussi malcommodes à préciser que celles de l'enfance. Parce qu'il se trouve des gosses préservés des sottises par une maturité précoce, qui, à dix ans, seraient capables d'identifier sur la toile un truc pas fait pour eux, et de s'en tenir à distance. À l'inverse, il y a des gens mûrs plus proches de l'âge de déraison qu'ils ne l'imaginent, qui feraient mieux de n'aborder internet qu'avec une extrême circonspection. À mon grand dépit, j'appartiens à cette dernière catégorie. Voici comment j'ai été amené à ouvrir ce blog, en m'amusant, et pourquoi je m'en suis mordu les doigts ensuite…
D'abord la boîte d'allumettes : elle se cachait dans un blog bourré de bons conseils que je consulte souvent, et portait le nom de Twitter. Je me suis rendu ensuite dans un coin tranquille pour apprendre à me servir des allumettes…
Le 5 décembre en fin d'après-midi, j'étais inscrit sur Twitter. À 10h30 du soir, un message dans le dit Twitter annonçait le titre du billet que j'avais publié plus tôt sur mon blog, mais je ne l'ai pas remarqué, perdu parmi d'autres, lorsque j'ai jeté un dernier coup d'œil et dit: bonsoir! avant d'éteindre mon ordinateur.
Le 6 décembre à 8h32, je vois apparaître sur Twitter un message accompagné de ma photo, informant les foules que j'ai sorti un texte intitulé «Rêves scolaires», sur mon blog littéraire. Or, il ne s'agit pas d'un texte de première fraîcheur, puisque publié le 15 Novembre…
À l'évidence, ce message émanait de moi, malgré moi… J'en ai rougi devant mon écran, n'étant guère porté à me mettre en avant à peine débarqué quelque part.
Et c'est là que je me suis fourvoyé, par ignorance : j'ai bientôt imaginé l'ami Jegoun me faisant une farce. Lui, qui, toujours généreux, avait facilité la veille mes premiers pas sur Twitter. Je ne voyais que Nicolas, maîtrisant assez bien tout ce bazar informatique, pour avoir réussi à m'imputer l'annonce d'un vieux billet…
Je lui posai une question en ce sens, à laquelle il ne répondit pas, faute de la comprendre, j'imagine, ou plus simplement faute de l'avoir lue.
Dans la matinée, tandis que je faisais des courses au marché du village, l'idée me vint de lui rendre la monnaie de sa pièce en lui attribuant quelque énormité amusante. Ouvrir un blog à la manière de Jegoun, par exemple, et y coller un extrait d'une nouvelle impubliable, dormant dans mes tiroirs, farci de liens pour accentuer l'effet de parodie. Le reste, même en étant nul en informatique était facile à réaliser.
Comme je répugne à l'anonymat, je fis en sorte de rendre l'opération aussi transparente que possible, sans risquer d'amoindrir l'effet de surprise espéré. Et, parce que je doutais tout de même que ma blague fût de bon goût, j'envoyais à Nicolas une invitation à collaborer au blog, afin de lui donner le moyen de remettre les choses à leur place, s'il le souhaitait.
Il l'a fait. Avec élégance et subtilité, je trouve.
Ce matin, en voyant Twitter annoncer mon billet d'hier du coucou, j'ai enfin tout compris, à ma grande confusion. Il y a un autre machin, une boîte d'allumettes dans la boîte d'allumettes, qui s'appelle twitterfeed… Et c'est moi-même qui ait allumé le truc, sans savoir comment. Mes titres de billets sortent automatiquement. Twitterfeed a donc exhumé le dernier billet connu de mon second blog, lors de ma première connexion…
Ainsi donc, ce que je croyais être une facétie amicale, réponse du berger à la bergère, se trouve en fin de compte ressembler davantage à une raillerie gratuite.
Je termine donc ce billet d'explications par les excuses que j'estime devoir présenter à Nicolas.
Le blog sera supprimé dans les vingt-quatre heures.
Signé Le coucou

samedi 6 décembre 2008

BLOG DE NICALOR JEGPOAUL SENIOR, VOYAGEUR AU LONG COURS

10 septembre 2095, 371e jour
Moi, Nicalor Jegpoaul senior, je débute ce blog intime alors que notre vaisseau, la Nouvelle-Santa-Maria, s'enfonce dans l'espace, un peu plus loin, beaucoup plus vite à chaque instant, dans un voyage sans retour. Le but de l'expédition, l'étoile Proxima Centauri, est encore loin, on la voit à peine briller dans l'éther noir par la fenêtre des toilettes.
Je dérive sur la quarantaine, pesant quatre-vingt-dix kilos de bons muscles sans graisse. À jeun, j'ai le teint frais, le blanc de l'œil limpide, et bonne allure malgré une cravate à chier. J'ai toujours joui d'une belle santé et d'une parfaite descente intestinale —le ciel en soit remercié !
Depuis le décès du regretté Milhouse Quicoulol, emporté au 208ème jour par une septicémie imparable, nous ne somme plus que deux à bord, le Commodore Malbeyer et moi. C'est pourquoi nos fonctions se sont étendues. Embarqué en qualité d'astrostatisticien, j'assume le rôle de cuisinier, en plus des responsabilités relevant de ma spécialité.
L'hypothétique lecteur à venir de ce blog se reportera au livre de bord pour prendre connaissance de mes observations scientifiques, dont la reprise ici, mêlée à mes états d'âme, serait superfétatoire.
14 heures 15
C'est l'heure de mon rendez-vous avec le pulsar du crabe, dans le module des toilettes. À plus.
P.S. Le pauvre Quicoulol raillait ma stricte observance des règles d'hygiène : ponctualité, concentration, désinfection. Le voilà bien avancé, maintenant qu'il flotte sans vie quelque part dans la blogosphère, cet esprit brouillon, ce saltimbanque du cosmos qui allait au module à n'importe quel moment, toujours avec une vidéo porno sous le bras!
19h30
Déception au module, en début d'après-midi : j'attendais le pulsar du Crabe et ce fut une naine noir qui tomba dans la lunette! Sinon, R.A.S.
11 septembre 2095, 372e jour
Le commodore Malbeyer et moi sommes en froid. Dans les conditions de promiscuité qui sont les nôtres, des heurts ailleurs insignifiants s'exacerbent ici jusqu'au ridicule! Oserais-je rapporter l'incident?
16h
Réflexion faite, un blog intime doit être le lieu de la vérité. Voici les faits : ce matin au breakfast j'ai partiellement brûlé une omelette. Comme les mets charbonneux perturbent mon intestin (il fonctionne cependant avec une précision qui me remplit d'orgueil : un vrai chronomètre suisse, quand tout va bien ; mais les mécanismes les plus sophistiqués sont aussi les plus délicats, on le sait)… Donc, comme le cramé ne me vaut rien, j'ai présenté le plat au commodore en plaçant devant lui la part altérée. Le commodore Malbeyer est un être d'un naturel assez fruste qui me semble capable d'ingérer n'importe quoi. Aussi bien trouvais-je cette répartition logique. Eh bien, non! Le bougre fit mine de se servir à l'opposé du plat! Aussitôt, je manœuvrai de manière à faire choir l'omelette noircie dans son assiette. Il s'ensuivit quelques secondes de confusion et finalement, le commodore dut capituler, pâle de rage rentrée. Pour se revancher, il émit au cours du repas des vents silencieux assez perfides. Il faut davantage pour me couper l'appétit. Nous n'avons pas échangé trois mots depuis lors.

(c'était la livraison n°1, à plus…)